Engager la responsabilité contractuelle des constructeurs Abonnés
En principe, les rapports contractuels s’achèvent à la date de la réception des travaux ou de la résiliation du marché (CE, 6/04/2007, n° 264490), mais la responsabilité contractuelle des constructeurs peut trouver à s’appliquer au-delà de cette date.
Le cas des prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage
Lorsque la commune décide de réceptionner l’ouvrage, cela met fin aux rapports contractuels entre elle et le maître d’œuvre pour les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage, notamment les missions de conception de cet ouvrage.
Cette réception fait alors obstacle à ce que la commune engage la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre en raison de ses fautes de conception (CE, 2/12/2019, n° 423544).Toutefois, la responsabilité contractuelle subsiste après la réception des travaux en cas de réserves émises par la commune lors de la réception, mais aussi en cas de manquement du maître d’œuvre à son obligation de conseil envers la commune lors de la réception.
Seul le décompte général et définitif du marché met fin aux réclamations
La réception met fin aux obligations contractuelles des constructeurs uniquement en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ; elles perdurent donc pour les éventuels retards ou travaux supplémentaires, dont la détermination intervient lors de l’établissement du solde du décompte définitif. En effet, seule l’intervention du décompte général et définitif a pour effet d’interdire à la commune toute réclamation (CE, 6/04/2007, n° 264490).
Remarque : lorsque la commune estime que la responsabilité de l’un des participants au marché peut être engagée pour des fautes commises dans l’exécution du contrat, elle doit, soit surseoir à établir le décompte jusqu’à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit l’assortir de réserves. À défaut, si la commune notifie le décompte général du marché, le caractère définitif du décompte fait obstacle à ce qu’elle puisse obtenir l’indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, y compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus après l’établissement du décompte. Dans ce cas, la commune pourra éventuellement engager la responsabilité du constructeur au titre de la garantie décennale et de la garantie de parfait achèvement lorsque celle-ci est prévue au contrat (CE, 19/11/2018, n° 408203).
Chiffrer ou non les réserves dans le décompte général
Toutes les opérations relatives à l’exécution du marché sont comprises dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Ainsi, toutes les conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales.
Si des réserves ont été émises lors de la réception et n’ont pas été levées, le maître d’ouvrage doit en faire état dans de ce décompte. À défaut, le caractère définitif du décompte a pour effet d’interdire toute réclamation des sommes correspondant aux réserves. Ces dernières peuvent être ou non chiffrées (CE, 28/03/2022, n° 450477) :
- lorsqu’elles ne sont pas chiffrées, le décompte ne devient définitif que sur les éléments n’ayant pas fait l’objet de réserves ;
- si elles sont chiffrées dans le décompte et que ce montant n’a fait l’objet d’aucune réclamation de la part du cocontractant, le décompte devient définitif dans sa totalité. Les sommes correspondant à ces réserves pouvant être déduites du solde du marché au titre des sommes dues au titulaire au cas où celui-ci n’aurait pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves.
Rappel : le fait que le décompte général soit devenu définitif ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d’appel en garantie de la commune contre son cocontractant, sauf s’il est établi qu’elle avait eu connaissance de l’existence du litige avant d’établir le décompte général du marché sans l’assortir d’une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige (CE, 6/05/2019, n° 420765).
Engager la responsabilité contractuelle du constructeur après l’émission de réserves
Lorsque la commune prononce la réception des travaux, elle doit l’assortir de réserves si elle constate des imperfections ou des malfaçons. Ces réserves permettent, jusqu’à leur levée et dans les limites de la prescription, de maintenir la responsabilité contractuelle pour les vices apparents à la réception de l’ouvrage.
Remarque : faute de stipulations particulières prévues par le contrat, lorsque la réception de l’ouvrage est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre la commune et les constructeurs ne se poursuivent qu’au titre des travaux ou des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet des réserves (CE, 16/01/2012, n° 352122). Dans ce cas, le point de départ de la garantie décennale et de la garantie de bon fonctionnement est reporté pour les travaux sur lesquels portent les réserves, jusqu’à la levée des réserves.
Formuler des réserves
La commune peut formuler des réserves sur des imperfections ou des malfaçons affectant l’ouvrage mais aussi sur les prestations non encore exécutées à la date de la réception (art. 41-5, CCAG travaux).
Remarque : la commune doit émettre ses réserves à la réception des travaux en des termes permettant aux hommes de l’art de déterminer et d’exécuter les mesures appropriées ; des réserves trop générales sont dépourvues de portée juridique (CAA Lyon, 7/07/1998, n° 93LY20594).
Lever les réserves émises
La commune lève ses réserves sous la forme d’un procès-verbal. Précisons que si les travaux ne sont pas exécutés dans le délai indiqué par la commune, ils peuvent être entrepris aux frais et risques de l’entrepreneur.
Note : ni le décompte général et définitif, ni l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement ne valent levée automatique des réserves tant que les travaux de réparation ou de réfection ne sont pas achevés.
Attention : la levée de réserves avec effet rétroactif à la date de réception empêche la commune de faire supporter aux constructeurs, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, le montant des réparations des désordres concernés par lesdites réserves (CE, 17/03/2004, Cne de Beaulieu-sur-Loire, n° 247367).
Engager la responsabilité particulière
du maître d’œuvre
La commune qui a subi un dommage, en raison d’une malfaçon ou d’irrégularités sur un ouvrage, peut rechercher la responsabilité du maître d’œuvre, en particulier l’absence ou l’insuffisance de devoir de conseil. En effet, la principale obligation du maître d’œuvre, en sus de suivre l’avancement et la régularité du chantier, est d’apporter tout au long de la construction des conseils à la commune. Ce devoir de conseil imposé au maître d’œuvre revêt également un caractère singulier compte tenu de sa situation particulière : il doit assister le maître de l’ouvrage dans le contrôle des situations de travaux servant au calcul des acomptes à verser aux entreprises au moment de la réception des travaux, mais aussi pendant la période de la garantie de parfait achèvement si les stipulations contractuelles le prévoient (CE, 1/10/1993, n° 60526).
La responsabilité du maître d’œuvre lors de l’établissement du décompte général
Dès que le maître d’œuvre a connaissance de désordres survenus en cours de chantier qui, sans affecter l’état de l’ouvrage achevé, ont causé des dommages à la commune, il doit inclure dans le décompte général du marché, au passif de l’entreprise responsable des désordres, les sommes correspondant aux conséquences de ces derniers. S’il n’est pas en mesure de chiffrer les conséquences des désordres, il doit conseiller à la commune d’assortir la signature du décompte général de réserves sur ces points. À défaut, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité (CE, 6/04/2007, n° 264490).
Assister la commune lors de la réception des travaux
Contrairement à la commune qui ne maîtrise pas le savoir faire, le maître d’œuvre est tenu de la conseiller et de lui indiquer les points défectueux de l’ouvrage (CAA Nantes, 20/10/2017, n° 16NT02726). Il doit également lui conseiller de ne pas prononcer la réception ou d’émettre des réserves sur les vices apparents, sous peine de voir engager sa responsabilité contractuelle (CAA Versailles, 15/03/2018, n° 16VE00740).
Remarque : cette obligation de conseil lors de la réception des travaux ne se limite pas à appeler l’attention de la commune sur les seules défectuosités susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination ; elle porte sur l’ensemble des malfaçons faisant obstacle à une réception sans réserve (CE, 8/06/2005, n° 261478).
Néanmoins, ce devoir de conseil ne concerne que l’état de l’ouvrage achevé et ne s’étend pas aux désordres causés à des tiers par l’exécution du marché. Dès lors, la commune ne peut pas engager sa responsabilité si le maître d’œuvre ne lui a pas conseillé d’assortir la réception de l’ouvrage de réserves relatives aux conséquences de tels désordres (CE, 6/04/2007, n° 264490, précité).
La nécessité de prouver une faute du maître d’œuvre
Pour que la responsabilité du maître d’œuvre soit reconnue pour méconnaissance de son obligation de conseil, la commune doit démontrer l’existence d’une faute.
Le juge va apprécier la faute au regard des éléments de l’affaire. Il reconnaît facilement la responsabilité pour manquement au devoir de conseil en cas de désordres imputables à un vice de conception dont le maître d’œuvre est responsable. Toutefois, sa responsabilité peut être atténuée, voire être exonérée, si la commune commet une imprudence grave en prononçant la réception sans réserves de travaux dont elle ne pouvait pas ignorer les défectuosités, notamment si elle bénéficie de services techniques compétents présents lors de la réception (CE, 20/10/1976, n° 94947).
Rappel : la responsabilité encourue au titre de la garantie de parfait achèvement est fondée sur le manquement de l’entrepreneur à l’obligation de résultat qui pèse sur lui en application du contrat (CE, 14/05/1990, n° 80614). La commune n’a donc pas à prouver une faute particulière dans le comportement du constructeur, il suffit que la prestation ne soit pas conforme aux prescriptions contractuelles ou aux règles de l’art.
Gaël Gasnet le 05 octobre 2022 - n°83 de La Lettre de l’Administration Générale
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